« Les abysses », Rivers Solomon

Le résumé de ce roman à la fois philosophique, historique et fantastique, couronné par quatre prix littéraires :

Lors du commerce triangulaire, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à l’eau. Mais en réalité, toutes ces femmes ne sont pas mortes. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l’une d’entre elles, Yetu, va leur rappeler.

Rivers Solomon est une personne transgenre, née aux États-Unis, qui vit désormais en Grande-Bretagne. Elle a rencontré le succès avec son premier roman : « L’incivilité des fantômes ».

Les éditions les Forges de Vulcain (2020), traduction de Fabrice Guévremont

Quand nous avons appris que nous deviendrions historiens, nous étions satisfaits. Enfin, nous pourrions assouvir la soif de notre esprit. Quand notre prédécesseur nous a transmis les souvenances, nous avons senti une étincelle de vie, et le torrent du passé s’est engouffré en nous. Nous ne serions plus jamais vide. Certains sont tristes quand ils prennent connaissance de l’Histoire, mais nous, nous avons ressenti une colère immense et glorieuse. Ce défi nous plaisait, nous convenait. Et la colère était notre émotion préférée, nous en jouissions. La colère donnait un sens à notre vie.

Quand l’historien qui l’avait précédée l’avait choisie, c’était parce qu’il avait été impressionné par la sensibilité de ses électro-récepteurs ; mais ce qui était malheureux pour elle, c’était qu’il n’avait pas tenu compte de son tempérament anxieux. Yetu aimait beaucoup les souvenirs de Basha, elle aimait revivre sa bravoure, sa vivacité. Mais il avait commis une erreur en la choisissant pour lui succéder. Elle était incapable d’exercer même les plus simples de ses attributions. Il serait très déçu d’apprendre ce qu’il était advenu de la fille qu’il avait choisie. Elle était devenue bien fragile.

Tu as fait ce qu’il fallait faire pour survivre. Et survivre, c’est le meilleur moyen de rendre hommage aux ancêtres, plus que le respect de n’importe quelle tradition.

L’océan n’est pas que notre demeure ou notre lieu de naissance. L’océan est notre paradis, car nous sommes liés par la puissance de sa vitalité. Quand nous mourrons, nous resterons en son sein. Nous le préservons comme il nous a préservés. Nous lui donnons vie comme il nous a redonné vie.
Telle est la nature de notre pacte, demeuré inchangé pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que nous soyons Basha.
Jadis, quand nous découvrions un bateau qui jetait nos ancêtres par-dessus bord comme s’ils étaient des ordures, nous le coulions. Nous allons couler le monde.

Chacun de nous finit toujours par se poser ces questions : qui suis-je ? D’où est-ce que je viens ? Quelle est la raison de tout cela ? Que signifie « être » ? Qu’est-ce qui existait avant moi, qu’est-ce qui existera après moi ? Sans réponse, il n’y a qu’un trou ; là où devrait se trouver une histoire, il n’y a qu’un trou, qui prend la forme d’une nostalgie infinie.

J’espère vous avoir mis l’eau à la bouche !

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